Dans son Manuel de survie et d’écriture, Martin Page correspond avec Daria, une jeune auteure. L’écrivain y expose sa vision de l’écriture, de l’édition, du monde et de la vie, avec humilité et honnêteté.
Les conseils de Martin Page tiennent plus de la porte ouverte que des règles strictes à suivre pour devenir écrivain. Son ouvrage est un appel à la liberté de créer, et nous le recommandons à tous ceux aimant écrire ! Nous en tirons quelques enseignements, qui ne peuvent résumer à eux seuls la richesse de ce livre.
Tout le monde peut écrire
L’auteur reconnaît qu’il était dur pour lui de se qualifier « d’écrivain ». Et pour cause : l’histoire littéraire française et la sacralisation des grands auteurs pèsent sur la liberté d’écrire. Mais pourquoi se limiter ainsi ? Se revendiquer « écrivain », ce n’est pas se comparer à Flaubert. Martin Page plaide pour une utilisation décomplexée de ce mot (p. 17-18) :
« Écrivain » est à nous et à quiconque écrit avec une ambition artistique […]. Nous n’allons pas le laisser à ceux qui en font un instrument mondain et de prestige. La plus juste manière d’utiliser ce mot est de le faire avec simplicité et sans timidité.
…oui : tout le monde.
Au-delà de la question de la timidité, la personne souhaitant écrire doit dépasser tous les jugements et toutes les barrières qui pourraient la rabaisser. L’acte d’écrire ne doit pas être réservé aux bons élèves et à tous ceux ayant déjà un pied à l’étrier, par leur naissance, leur éducation ou leur parcours. Tout au long de sa correspondance, Martin Page rappelle que tout le monde est invité à écrire. Cela comprend les « mauvais élèves » et tous ceux qui n’entrent pas dans le moule. Daria s’interroge sur les raisons qui pousse son correspondant à écrire. Celui-ci rebondit sur sa question (p. 43) :
Tu me demandes pourquoi j’écris. La vraie question me semble plutôt être : mais pourquoi tout le monde n’écrit pas ? […] Tout le monde devrait écrire. En tout cas, avoir cette possibilité et s’y sentir autorisé.
Tous les sujets et tous les genres sont ouverts à l’écriture
Tout le monde est invité à écrire… et sur n’importe quel sujet, dans n’importe quel cadre, des œuvres de n’importe quelle taille. L’auteur revient à plusieurs moments sur la liberté et la diversité des créations sur lesquelles chacun peut travailler. Entre autres, l’auteur défend le travail de commande pour la diversité des sujets et des défis qu’il peut apporter (p.144) :
Tu sais, au fil des années, j’ai écrit sur le football, les cheminées, l’architecture et les chaussures, la musique et la mer. Des sujets auxquels je ne connais rien. […] Il n’y a pas de sujets nobles. Les travaux pour la presse sont nos laboratoires. Il est important pour un artiste de jouer au savant fou.
Il n’y a pas non plus de genre littéraire incontournable : le plus important est d’écrire ce que l’on souhaite écrire. Martin Page lui-même s’est lancé dans la littérature jeunesse, l’essai et la littérature de zombis. Il s’étonne d’ailleurs de lire la tribune d’un éditeur défendant la littérature et « même les livres superficiels de divertissement et de plaisir », comme s’il existait la littérature « sérieuse » car triste, austère, coupée du plaisir, et les autres livres. Quant à la taille des écrits, l’écrivain rappelle à quel point il est absurde de juger un livre sur son épaisseur. Les préjugés restent tenaces… mais cela ne signifie pas qu’il faut les accepter. L’auteur renvoie à un éditeur refusant de publier un manuscrit car il est trop court, un article de blog déconseillant un livre en raison de sa taille et un écrivain souhaitant écrire un « gros livre » pour être pris au sérieux.
Écrire, c’est réécrire
Écrire un premier jet demande du temps ; mais la réécriture, la relecture, le travail sur l’œuvre sont indispensables. C’est l’un des conseils les plus répandus des écrivains professionnels aux jeunes auteurs, avec l’invitation à la lecture, et il se retrouve bien entendu dans le Manuel d’écriture et de survie. Martin Page comme Daria travailleront sur leurs romans respectifs en parallèle de leurs échanges épistolaires. Du premier jet à l’édition, Daria retravaillera son manuscrit. Martin Page mettra avec joie un point final à un premier jet de roman… mais soulignera qu’il ne s’agit que d’une illusion : la relecture et la réécriture l’attendent. L’écrivain nous offre une image illustrant bien cet aspect de la création littéraire (p. 46) :
Un roman n’est pas une flèche qui va dans une direction, c’est un tableau que l’on a devant soi et que l’on enrichit sans cesse.
L’écrivain doit rester libre et autonome
Martin Page revient à plusieurs reprises sur les questions d’autonomie et d’indépendance des auteurs. Au-delà de l’autonomie financière, l’écrivain incite sa correspondante à garder une autonomie de pensée, que cela soit par rapport à ses relations, aux critiques… ou à l’époque. Ainsi, Martin Page invite Daria à se tenir loin du sarcasme, de la jalousie, du cynisme et des « ricaneurs stériles » au pouvoir dans les milieux littéraires. Les critiques, qu’elles soient élogieuses ou négatives, doivent être également prises avec distance. Les compliments peuvent être des pièges entamant l’autonomie d’un auteur. Quant aux critiques négatives, lorsque Daria doit y faire face de la part d’une amie, l’écrivain l’invite à ne pas se laisser détourner d’elle-même (p. 34)… et nous n’aurons pu trouver de meilleure conclusion à cet article :
Être un artiste, c’est aussi ne pas se conformer à ce que les autres attendent de nous.